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Séance 6: Militantes du Mouvement Akal (la terre). Une revendication amazighe pour le droit à la terre

Fadma Aït Mous, professeure-chercheure au Département de Sociologie à la faculté des Lettres et des Sciences Humaines Ain Chok (université Hassan II de Casablanca), nous présente les résultats d’un travail de recherche encore en cours mené avec l’une de ses doctorantes et consacré aux femmes militantes du mouvement Akal, mouvement de revendications pour le « droit de la population à la terre et à la richesse », composante du mouvement amazigh au Maroc.  Plusieurs moyens d’action sont mis en place, comme des manifestations dans les grandes villes du pays ou encore des sittings. Le drapeau amazigh y est toujours présent Ce mouvement a émergé, en 2018, dans un contexte lié aux effets du changement climatique et à la désertification du Sud du Maroc. Comme d’autre pays du nord de l’Afrique, le Maroc subit, depuis quelques années, de nombreux incidents climatiques participant à la sécheresse croissante des terres. Ces changements climatiques ont contraint certaines tribus nomades du sud marocain à chercher, au cours des périodes de transhumance, de nouvelles zones de pâturage. Cette large mobilité des populations nomades n’est, certes, pas récente mais elle a gagné en ampleur ces dernières années avec l’appauvrissement et la désertification des sols. La dispute des terres collectives appartenant aux populations amazighes sédentaires du sud du Maroc, pour en utiliser les surfaces et les réserves d’eau pour les troupeaux, bousculent les équilibres économiques et provoquent un surpâturage qui lèse les tribus sédentaires. Les tensions et les nombreux conflits générés par ce déséquilibre réactivent le clivage ethnique entre nomades (tribus sahraouies, Aɛraven) et sédentaires (tribus amazighes) et entrent en échos avec la dépossession des terres des tribus amazighophones. Pour autant, les pouvoirs publics n’ont pas pris la mesure de ces problématiques, et continuent d’imposer des législations allant dans le sens contraire d’une réelle gestion et partage des terres.

©Sanaa Amajoud, Casablanca, 2019
(« Aman inu, akal inu, afgan inu, tagant inu, llmɛdn inu, tamagit inu » Mon eau, ma terre, mon humanité, ma forêt, mon identité.)

A partir d’un terrain casablancais et d’une étude sur les réseaux sociaux, Fadma Aït Mous suit les femmes du mouvement Akal qui s’inscrit, quant à lui, dans un mouvement plus global du droit à la terre des populations autochtones dans le monde. Autour du foncier, les questions du développement et de la préservation de la biodiversité sont omniprésentes dans ces luttes fortement soutenues par le mouvement et la diaspora amazighs. Dans cette lutte polymorphe (préservation de l’environnement, réchauffement climatique, spoliation des terres, mal-développement, défense de la langue et du patrimoine amazighs), émerge l’affirmation des femmes dans l’espace public et celle de la revendication de l’égalité des genres dans les processus d’indemnisation. Fadma Aït Mous interroge le militantisme des femmes amazighes à l’aune du mouvement Akal et l’inscrit dans une temporalité plus large en lien avec l’histoire de la revendication amazighe au Maroc. Les participantes ont une conscience politisée de leur précarité car elles sont les principales victimes de ces spoliations. Telles les femmes soulaliyates (des terres collectives) qui se battent depuis des années pour obtenir la même indemnité que les hommes quand les terres de leur tribu sont revendues. Si la loi leur reconnait la même égalité que les hommes au droit à l’indemnisation, elles sont souvent victimes des logiques coutumières patriarcales qui les contraint à renoncer à leurs droits au profit de leurs époux, leurs frères et leurs fils, ainsi que de l’avidité des promoteurs immobiliers. Il faut souligner que ces terres représentent un enjeu économique considérable avec 15 millions d’hectares qui concernent 8 à 10 millions d’habitants.

Dans cette communication, la politiste nous présente les profils de ces militantes, leurs expériences et leurs perceptions relatives à cet objet précis de leur revendication qui est la terre. 

Les femmes actives dans le mouvement, surnommées timdukkalin n Akal (les amies de la terre), sont, dans leur majorité, des quarantenaires, pour la plupart instruites avec des situations familiales plutôt hétérogènes. Elles ont déjà acquis une expérience du militantisme soit en côtoyant des membres de leur famille engagés dans des groupes de militances amazighes, soit en participant elles-mêmes à ces mouvements. Elles manifestent en groupe et sont souvent accompagnées de leurs enfants. La diversité des âges permet un vrai brassage des générations qui stimule l’interaction dynamique entre les plus jeunes participantes et les militantes considérées comme les aînées du mouvement. Aussi, ces échanges permettent une meilleure transmission des expériences de lutte et créent une continuité dans la militance. 

La présence des femmes dans le mouvement est fortement encouragée par les militants hommes qui y voient un atout (genré) pour leur lutte. Les femmes sont censées représenter des éléments certes contestataires mais pacifiques, modernes tout en restant attachées aux traditions. Ainsi, pour faciliter leur engagement, la plupart des frais de déplacement et d’hébergement sont pris en charge par le mouvement. Les rassemblements et manifestations sont aussi l’occasion pour les femmes, dont beaucoup avaient perdu l’habitude d’afficher publiquement leur militantisme, d’investir les espaces publics et d’y inscrire la culture amazighe, notamment en venant habillées en habits traditionnels berbères.  

L’action des femmes dans le mouvement Akal complexifie la défense du droit des populations à la terre et aux ressources naturelles. Leur militantisme se décline à plusieurs échelles et s’empare de plusieurs questions :

  • La question du foncier qui s’inscrit dans une histoire longue de dépossession économique et de spoliation des terres : actions de spoliation des terres et du foncier par la loi du 27 avril 2016 (avec l’aménagement et la gestion des espaces pastoraux et sylvopastoraux) ; non-respect des régimes fonciers locaux et traditionnels ; gestion actuelle qui s’inscrit dans les lois datant du Protectorat, spoliatrices et non respectueuses des régimes traditionnels de propriété. Les dépossessions économiques des populations locales touchent principalement les femmes.
  • La question identitaire et la terre comme le référentiel de l’ethnicité amazighe. Souvent vêtues de leurs vêtements traditionnels, elles se posent comme les protectrices de la terre amazighe et comme celles qui assurent la transmission culturelle et linguistique. Il est important aussi de noter que les politiques publiques marocaines, mises en place ces dernières décennies, ne vont plus dans le sens de la préservation des traditions et des régimes fonciers amazighs où la terre n’est pas seulement une source de production mais un marqueur identitaire et un espace civilisationnel. 
  • La question amazighe et l’autochtonie. Le Maroc n’a pas signé la charte de l’ONU de la reconnaissance des peuples autochtones. La reconnaissance de ce statut pour les populations berbérophones permettrait, entre autres, d’envisager des politiques de sauvegarde des savoir-faire ancestraux et autochtones dans la régulation et l’adaptation des changements climatiques de la biodiversité naturelle et culturelle de ces zones.
  • La question du développement et de la biodiversité. Ces deux questions sont indissociables désormais. Si les femmes sont des actrices économiques incontournables dans les régions rurales, notamment dans le cadre de coopératives très dynamiques, elles sont également porteuses de modèles de développement soucieux de la préservation environnementale. 

Ainsi la forte présence des femmes dans les importantes revendications et mobilisations permet d’évaluer leur émancipation effective et majeure dans les affirmations publiques de leur citoyenneté. Au-delà, ces femmes mènent d’autres actions liées à l’amazighité (elles adhèrent ou dirigent des associations) et gèrent des coopératives. Entre sauvegarde du patrimoine culturel et linguistique amazigh, défense de leurs droits à l’égalité, critique des politiques publiques et affranchissement économique, elles jouent pleinement leur rôle de citoyennes conscientes des enjeux et des défis du temps présent. Pour conclure, F. Aït Mous a grandement insisté sur l’écart entre la forte mobilisation des femmes de tous horizons et professions (écrivaines, journalistes, enseignantes…) dans ces mouvements de revendication et le peu d’intérêt académique pour leur présence dans ces espaces. Il n’existe aucune étude, exceptée celle qui est en cours, aucune statistique sur le nombre de participantes. Les femmes demeurent encore invisibilisées dans l’histoire officielle nationale et dans l’histoire du militantisme amazigh.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Malika Assam (3 avril 2023). Séance 6: Militantes du Mouvement Akal (la terre). Une revendication amazighe pour le droit à la terre. Maghreb Amazigh. Consulté le 21 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/r5zk


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